Pourquoi le BJML (Besoin journalier minimal en lits) est un outil de pilotage précieux ? – Le retour d’expérience du CH de Lens

Cette phrase, qui fait la une de tous les journaux depuis de nombreuses années, témoigne d’une réalité sur le territoire français qui se manifeste entre autres par des situations d’embolisation et de saturation des services d’urgences qui peinent à trouver des lits d’aval pour leurs patients. Instinctivement, c’est à la pénurie médicale et para médicale que l’on pense, mais en réalité, ce n’est pas le seul angle sur lequel agir pour répondre à cette saturation.

Et si anticiper ce besoin en lits permettait de fluidifier cette recherche de lit pour les patients des urgences qui ont besoin d’être hospitalisés ?

C’est précisément ce que propose le BJML : Besoin Journalier Minimal en Lits. Aussi antinomique que cela puisse paraitre, cet indicateur a pour ambition de « programmer le non programmé ». C’est ce que nous allons vous présenter dans cet article.

Qu’est-ce que le BJML ?

En étudiant les données d’activité des établissements sur plusieurs années, on constate que le nombre de patients hospitalisés depuis les urgences varie assez peu, et suit une certaine saisonnalité. Il est possible d’identifier le nombre maximum et minimum de patients hospitalisés chaque semaine, et même chaque jour de la semaine. Et si l’on s’intéresse aux services de destination des patients depuis le SAU, on peut obtenir des statistiques précises sur le nombre de patients qui rejoignent chaque service

C’est sur ces calculs que repose le BJML, qui permet « d’estimer le nombre journalier de lits qu’il est acceptable de prévoir chaque jour dans un établissement / pôle / service pour les patients en provenance des urgences ». Cet indicateur est un changement de paradigme total sur la question des « patients non programmés ». Il permet en effet le développement d’une culture de réservation de lit pour les patients du SAU considérés jusqu’à présent comme étant imprévisibles et désorganisant pour les services de soins.

Il offre la possibilité aux établissements d’anticiper la prise en charge de patients, certes hypothétiques car non programmés, mais qui seront quoi qu’il en soit hospitalisés chez eux.

Pourquoi le mettre en place ?

Trop peu utilisé, le BJML a pourtant plusieurs vertus dont les principales sont listées ci-dessous :

  • Sanctuariser des lits d’aval pour les urgences : Si le BJML est intégré dans le logiciel, dès la programmation les patients « programmés » peuvent-être répartis sur les différents jours de la semaine en tenant compte que certains lits sont fléchés « patients SAU » ou « patients entrées directes »
  • Aider à la régulation des flux (programmé, entrées directes, urgences …) : S’il l’on connait le nombre moyen journalier de lits dans chaque service occupé par des patients en provenance des urgences, des entrées directes, ou programmés ; il devient possible de créer des règles de priorisation et régulation des flux claires et objectives. A partir d’une certaine heure, il devient possible de programmer une entrée directe ou un hébergement sur un lit fléché « patient en provenance du SAU » si celui n’est pas occupé dans le service
  • Alerter en cas de tension et améliorer la coordination territoriale : Si un jour donné, le nombre de patients en provenance des urgences fléché pour un service dépasse tôt dans la matinée le BJML de ce service, une alerte sera donnée pour pouvoir agir (lancer des hébergements, favoriser des sorties, réorientation vers d’autres établissements de proximité…)
  • Créer un dialogue autour d’un indicateur objectif entre les urgences et les services de soins

Quels conseils pour maximiser les chances de réussite ?

Comme tout indicateur, le BJML doit être défini sur une base de données propres, avec méthode et être vivant dans le temps.

Pour remplir toutes ces conditions et éviter les écueils classiques d’un tel projet, voici une liste non exhaustive de pré-requis à appliquer :

  • Utiliser une base RUM (Résumé d’Unité Médicale) fiable, consolidée, exhaustive. Le BJML repose intégralement sur la qualité des données de cette base. Il faut donc en premier lieu opérer un nettoyage pour la rendre exploitable (par exemple penser à supprimer les valeurs aberrantes, les séjours de plus de x jours, les doublons …).
  • Interroger les effets de la saisonnalité. Pour cela il faut veiller à avoir une base RUM définie sur une période d’un an. Puis, une étude rapide permettra d’analyser si les saisons ont effectivement un impact important sur les hospitalisations depuis les urgences et si oui ou non cette saisonnalité doit être prise en compte.
  • Calculer un BJML par service en plus de celui pour tout l’établissement. Si calculer un BJML global est un bon indicateur macroscopique, la déclinaison à l’échelle de chaque service est le seul moyen d’opérer une vraie « réservation » de lits pour les patients en provenance du SAU.
  • Echanger avec les services pour valider la valeur de leur BJML. Même si le BJML est basé sur une étude statistique, il est crucial d’échanger avec les services pour travailler avec eux les différents paramètres de calcul et les adapter en fonction de leur situation (choix du centile, nature des flux pris en compte…).
  • Mettre à jour régulièrement la valeur du BJML. Pour que le BJML soit pertinent et accepté par les équipes, il est nécessaire de statuer dès le début sur sa mise à jour régulière (annuelle par exemple). Il n’y a en effet pas pire crainte pour un service que de se voir imposer un indicateur immuable dans le temps.

Le retour d’expérience du CH de Lens

Outre l’augmentation du nombre de passages au SAU, le manque de lits d’aval est souvent une des causes à la saturation des services d’urgences. Dans l’impossibilité de leur trouver un lit, les patients deviennent alors des lits « sup » ou des lits « brancards », situations préjudiciables à leur prise en charge.

En 2022, la Direction du GHT de l’Artois a sollicité un accompagnement pour définir le capacitaire cible par spécialité, le CH Lens se projetant sur le projet « Nouvel Hôpital ».

En parallèle, le logiciel de gestion des lits de la société Lenrek était déployé. Celui-ci devait nous permettre d’avoir une vision en temps réel et en prévisionnel de l’occupation des lits. Le travail sur les circuits de programmation d’un parcours patient, entrepris depuis plusieurs mois, devait à travers l’outil, intégrer le circuit du patient urgent.

Il nous fallait faire un lien entre les deux : comment concilier ces deux flux opposés pour garantir au mieux un lit pour chaque patient nécessitant une hospitalisation ? Comment s’organiser pour que les patients entrés via les urgences puissent avoir un lit d’aval, sans pour autant limiter ou restreindre la programmation ?

C’est dans ce contexte, que nous avons décidé de travailler sur la définition du BJML. Un travail de quantification a alors démarré en lien avec les données du DIM.

Le nombre d’entrées via le SAU a été calculé, d’abord par secteur d’activité puis plus finement par spécialité, nous permettant de définir les BJML en fonction des centiles.

La validation du centile le plus judicieux à retenir a été obtenue après discussion avec les différentes équipes médicales et paramédicales. Nous avons acté la prise en compte du centile à 15% pour l’ensemble des spécialités : les chiffres retenus permettraient de couvrir le besoin en lits d’urgences sur 85% de l’année.

En parallèle, la DMS de ces patients urgents a pu elle-aussi être définie par spécialité.

Ces données, nombre de lits par jour / nombre de jours, ont été intégrées au logiciel Gestion des lits, par unité de soins. Elles permettent d’une part, de limiter la programmation au-delà de la DMS renseignée, de libérer quotidiennement ces lits pour de la programmation courte et de garder les lits pour les urgences quotidiennes.

Si sur les premières semaines, il a été parfois difficile sur des secteurs comme la chirurgie par exemple, de « réguler » la programmation, cela nous a permis d’accentuer le travail en cours sur l’anticipation des sorties, la bonne orientation dans les parcours patient et autres axes d’amélioration.

En parallèle, nous avons intégré, dans le logiciel Aglaé, des icônes pour repérer les patients hospitalisés à partir des urgences ainsi que ceux ayant bénéficié d’une programmation courte voire très courte, comme les entrées directes.

Cela nous a permis, depuis, d’affiner les données concernant le besoin journalier minimum en lit par spécialité, en y ajoutant les besoins de programmation courte. Nous avons ainsi défini ce que nous appelons désormais le BJMLE ou BJML Etendu.

Autre point non négligeable, tout ce paramétrage étant facilement modifiable, il peut donc varier en fonction d’informations recueillies et des pics d’activités pouvant être anticipés. Dans le contexte du pilotage d’un territoire élargi, obtenir les informations de fermetures de lits ou de situation dégradées de sites d’urgences des établissements voisins, permet de faire varier le BJML de notre établissement sur la spécialité concernée et ainsi anticiper une saturation des lits d’aval des urgences.

Aujourd’hui, à dix-huit mois de sa mise en place, nous observons les avantages du BJMLE informatisé. Outre le fait de respecter la circulaire n° DGOS/R2/2019/235 du 7 novembre 2019[1], les diminutions importantes du nombre d’épisodes de tensions sur les lits d’aval, ainsi que du temps passé au SAU par les agents de la cellule de gestion des lits nous confortent dans le choix fait du déploiement de cet indicateur. Il convient cependant, d’en faire un outil dynamique, qui pourra varier au regard du contexte mais aussi des pratiques en termes de parcours patients.

  • Une baisse de 49% du nombre d’interventions de la cellule de gestion des lits entre 2022 et 2024
  • Une diminution de 18 points du % d’hébergement entre 2022 et 2024

En synthèse

Au-delà d’être une obligation légale, le BJML est un vrai outil de pilotage au service des établissements. Bien utilisé, celui-ci peut même être l’initiateur d’un dialogue constructif entre les urgences et les services de soins sur l’accueil des patients non programmés, dialogue souvent rompu depuis plusieurs années dans la plupart des établissements de santé.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la plupart des éditeurs de logiciel ne se sont pas encore saisis de ce sujet. Les établissements à ce niveau de maturité ont donc tout à gagner à solliciter leurs éditeurs sur ce point-là, afin de co-construire avec eux son intégration dans les outils à disposition des soignants.

[1]Circulaire n° DGOS/R2/2019/235 du 7 novembre 2019 relative à l’anticipation des tensions liées aux hospitalisations non programmées et au déploiement du besoin journalier minimal en lits dans tous les établissements publics et privés et groupements hospitaliers de territoire.

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