La refonte du financement de la psychiatrie : un enjeu de santé publique

Les modalités de financement de la psychiatrie en France sont largement remises en cause aujourd’hui. Si les options retenues dans la loi santé 2019 semblent pour la plupart prendre la bonne direction, des questions demeurent sur le nouveau modèle de financement mixte.

Depuis une vingtaine d’années, de nombreux rapports ont confirmé que la santé mentale et la psychiatrie constituent un enjeu de santé publique majeur, suivant en cela les constats répétés de l’OMS. La crise de la psychiatrie nous concerne tous. Un français sur cinq est ou sera touché par une pathologie mentale, à un moment ou à un autre de sa vie. 2 millions de personnes souffrent aujourd’hui de troubles psychiatriques (dépression, bipolarité, schizophrénie, autisme, etc.). Ces affections sont la première cause de décès chez les jeunes adultes, avec 10 000 suicides par an. Quant à l’espérance de vie des malades, elle se trouve réduite de dix à vingt ans, par rapport à la population générale.

Cette prévalence des troubles place la psychiatrie au premier poste de dépenses de l’Assurance maladie (19,8 milliards d’euros, des dépenses supérieures aux maladies cardiovasculaires et aux cancers) et constitue la première cause d’invalidité et d’arrêt de travail.

La santé mentale est donc bien un enjeu de santé publique majeur en France.

Toutefois, la crise que traverse aujourd’hui la psychiatrie, illustrée notamment par les manifestations qui se sont succédées dans les hôpitaux psychiatriques en 2018, tient également à l’organisation de l’offre de soins en psychiatrie. Bien qu’il y ait davantage de psychiatres par habitant en France que dans les autres pays de l’OCDE, les délais de prises en charge s’allongent en France. Nonobstant, la psychiatrie développe de plus en plus « l’aller vers » et s’ouvre sur la ville, les pratiques évoluent et demandent de réallouer les moyens. Par ailleurs, des pratiques comme l’isolement et la contention sont aujourd’hui contestées et pour être limitées, demandent d’adapter l’organisation des structures.

La psychiatrie présente des spécificités fortes en comparaison à la prise en charge somatique, et ce sont ces spécificités qui semblent être aujourd’hui à l’origine des enjeux du système. Si les raisons de la crise sont nombreuses et mériteraient chacune une étude spécifique, c’est le mode de financement de la psychiatrie qui retient aujourd’hui notre attention.

La réforme du financement de la psychiatrie, une urgence pour réallouer les moyens.

L’organisation de la psychiatrie en secteur géographique garantit l’accès de tous aux soins, mais cette organisation présente aujourd’hui des limites. Faute de praticiens, certains secteurs rencontrent des difficultés de fonctionnement, entraînant par là-même des difficultés de prise en charge et ce, notamment pour les nouveaux patients limitant les opportunités de repérage précoce. La qualité des soins apparait hétérogène et les recommandations nationales semblent être appliquées aléatoirement. De plus les délais de prise en charge sont très variables. Ils sont en moyenne de 67 jours en psychiatrie adulte et 116 jours en pédopsychiatrie. Ce n’est plus acceptable.

Une raison majeure qui peut expliquer ces dysfonctionnements réside dans son financement actuel : la dotation annuelle de financement (DAF). Reconduite chaque année sur une base historique, la DAF est peu flexible et peine à s’adapter aux évolutions. Plusieurs facteurs. L’hétérogénéité de la prévalence des troubles mentaux, mais aussi les dynamiques démographiques et les caractéristiques socio-économiques qui diffèrent d’un territoire à l’autre, viennent influencer directement l’activité des établissements. Etablissements, qui développent de nouveaux modes de prises en charge venant nécessairement impacter et transformer l’allocation des moyens. Autre élément, la médecine de ville qui permet un relais de prise en charge pour l’hôpital, mais se trouve en grande difficulté selon les territoires.

Insuffisamment reconnus dans le mode de financement de la psychiatrie, ces éléments ont contribué à créer une hétérogénéité entre les hôpitaux. Des péréquations financières ont été mises en place par certaines régions et visent à réduire les inégalités entre établissements. Néanmoins, un enjeu de clarté et de stabilité des critères se pose.

Un nouveau mode de financement mixte qui nécessite des clarifications.

Le rapport dirigé par Jean-Marc Aubert intitulé « Réforme des modes de financement et de régulation » et remis au gouvernement en début d’année vient de conduire à une réforme du mode de financement des hôpitaux psychiatriques. Ma Santé 2022 prévoit ainsi un nouveau financement de la psychiatrie, qui présente de nombreux atouts mais dont certains points interrogent.

Financer en partie les établissements psychiatriques à l’activité nécessite une collecte et une analyse des données encore limitée.

Le financement d’une partie de la psychiatrie à l’activité devrait permettre de mieux connaitre les besoins sur chaque territoire de santé et ainsi d’adapter les moyens dont chaque établissement dispose. C’est aussi inciter à la diffusion de chemins cliniques reconnus par tous.

Mais un financement à l’activité nécessiterait dans un premier temps une mesure précise des données. Le recueil d’information médicalisé en psychiatrie, RIM-P, est en place mais est sous-utilisé et présente déjà des limites.

Comment cette mesure fine de l’activité pourrait être faite ?

Il faut définir tout d’abord des épisodes de soins homogènes par type de patient et identifier quelle doit être la meilleure pratique clinique à suivre ce qui nécessitera un gros travail d’harmonisation et de définition des pratiques entre praticiens afin d’aboutir à des référentiels de pratiques professionnelles partagées. Cette tâche est d’autant plus complexe que chaque patient nécessite une prise en charge adaptée. Une fois les épisodes de soins identifiés il faudra les associer à un forfait parcours de soins.

Le financement à l’activité pour les établissements psychiatriques c’est aussi décider qui centralise le forfait et redistribue ensuite les moyens entre les différents acteurs. Pour cela il faudrait un gestionnaire unique qui centralise les forfaits et les parcours et qui les redistribue à l’ensemble des acteurs de la filière de soins psy du CMP aux hôpitaux en passant par les CPTS.

Aux Pays-Bas, il existe des « groupes de soins ». Ce sont des entités juridiques gestionnaires qui gèrent le forfait psychiatrie et qui distribuent les fonds aux différents soignants en s’assurant de l’efficacité des soins.

Une reconnaissance financière de nouvelles prises en charge à mettre en œuvre.

Le financement n’est aujourd’hui pas assez centré sur le virage ambulatoire et ne met pas en avant les liens noués avec la cité. Si l’on veut sortir d’un modèle unique d’hospitalisation complète, il faut réhabiliter les CMP, CATTP, hôpitaux de jour et toute nouvelle forme de prise en charge, alliant proximité, flexibilité et réactivité pour mieux s’adapter aux besoins du patients.

Le financement est également trop éloigné de la notion de parcours. Il faudrait inciter financièrement à la création d’unités dédiés pluridisciplinaire inter-sectorielles.

Une reconnaissance financière de la qualité en psychiatrie nécessaire.

La reconnaissance de la qualité des prises en charge dans le financement des structures est primordiale. Cependant, ce projet n’en est qu’à ses débuts. Depuis 2008 en France, la Haute Autorité de Santé a cherché à développer avec la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) des indicateurs de qualité et de sécurité des soins. En psychiatrie, cette démarche a seulement débuté en 2018 et une seconde phase d’expérimentation a été lancée à la mi-mai 2019. Avant que le financement à la qualité soit opérable, le travail de définition des indicateurs devra être poursuivi. Intégrer les champs sociaux et médico-sociaux dans les critères de qualité pourrait être une bonne chose. Il pourrait également être pertinent de s’appuyer sur les patients pour définir ces critères de bonnes pratiques, à l’aide par exemple de questionnaires.

Ensuite, inciter à la qualité ne pourra être efficace que si les fonds sont suffisamment incitatifs. En médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) où ce financement partiel n’était pas assez incitatif (IFAQ), les résultats sont maigres. Sur ce point, des évolutions sont prévues dans la loi santé 2019 avec notamment un système de pénalités à partir de 2021 pour le secteur psychiatrique appliqué en cas de non-atteinte des objectifs.

Une reconnaissance financière des spécificités territoriales.

Comme évoqué en préambule, les territoires présentent chacun des spécificités démographiques et économiques. La péréquation financière devrait notamment permettre de bien prendre en compte ces facteurs, notamment la précarité. Ce mécanisme financier devrait en outre permettre de ne pas augmenter sensiblement le budget général alloué à la psychiatrie, tout en atténuant les inégalités de financement entre les territoires. La reconnaissance financière des territoires est plus un projet de régulation des moyens et des mécanismes de financement qu’une politique publique d’investissement et de création de structures hospitalières et extra-hospitalières. Elle permet néanmoins de soutenir de façon plus adéquate l’activité.

Pour mesurer les effets positifs d’une réforme du financement quelques indicateurs de réussite possibles :

  • La diminution de la durée des hospitalisations complètes
  • La baisse du nombre de suicides pour cause de troubles mentaux
  • L’augmentation de l’espérance de vie des personnes souffrant de troubles mentaux
  • L’amélioration de la qualité des soins perçus par les patients
Ainsi, un financement qui devrait permettre de mieux accompagner les évolutions en psychiatrie en l’ancrant plus profondément dans le tissu territorial.

La nomination du délégué ministériel à la santé mentale Franck Bellevier pourrait permettre la mise en œuvre d’une vision coordonnée de la psychiatrie et de la santé mentale. Il devra travailler à la fois avec Agnès Buzyn et Sophie Cluzel pour combiner pleinement les aspects sanitaires et médico-sociaux. En attendant le Fonds d’urgence alloué à la psychiatrie peut permettre de gagner du temps, mais n’est pas suffisant pour faire l’économie d’une réflexion globale sur la santé mentale en France.

RSE

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Dans le cadre de ses engagements RSE, Adopale agit sur la compensation carbone et le don à une association de protection de l’environnement