Gestion de l’approvisionnement des unités de soins, osez (enfin) le véritable flux tiré !

Cet article a été écrit par le cabinet Adopale sur la base de son expertise sur le sujet de l’approvisionnement des unités de soins, et fort d’une expérience d’accompagnement sur plus d’une centaine de projets logistiques hospitaliers.

L’article a ensuite été publié dans l’édition de Mars 2021 de la revue Gestions Hospitalières, dans la rubrique « Réflexions ». Vous pouvez y accéder sur le lien suivant : 
http://gestions-hospitalieres.fr/lapprovisionnement-des-unites-de-soins/

Un approvisionnement logistique moderne et efficient du point de vue des services de soins consommateurs est un approvisionnement fiable, réactif et avec un minimum d’interventions des soignants. Du point de vue de l’administration, c’est un approvisionnement limitant les stocks immobilisés et le coût du processus.

La solution clé en mains pour un tel approvisionnement des unités de soins, permettant de limiter la sollicitation des soignants et d’éviter les sur-stocks, existe depuis longtemps dans l’industrie. Issue de l’approche Lean, elle s’appelle le système « Kanban ». Traduit par le milieu hospitalier en système « Plein-Vide », il est malheureusement régulièrement mal compris et souvent mal exécuté. Un simple changement de logique dans le processus de distribution permet de résoudre le problème. A l’heure où soulager les effectifs soignants est une priorité nationale, il serait dommage de ne pas s’y intéresser. Explications.

Le fonctionnement imparfait de l’approvisionnement des unités de soins dans les hôpitaux

Par définition la consommation des unités de soins est fluctuante. Si elle était constante ce serait trop simple ! Que ce soit en produits de santé (médicaments, dispositifs médicaux) ou en consommables divers (hygiène, produits hôteliers, fournitures, etc.), le besoin varie quotidiennement en fonction des patients. L’approvisionnement doit donc, lui aussi, fluctuer, soit en quantité livrée, soit en fréquence de livraison. Nous retrouvons alors 3 systèmes possibles, présentés dans le schéma ci-dessous.

Système-approvisionnement

Systèmes d’approvisionnement possibles

Deux systèmes s’observent dans les hôpitaux.

Le plus répandu, de loin, est celui de la complémentation (1). Les fréquences de commande sont fixes (tous les mardis par exemple) et c’est la quantité commandée qui fluctue. Cette quantité est théoriquement déterminée par un inventaire précis du stock restant dans l’unité de soins, que l’on compare à une dotation « type » (« Ma dotation est de 100, il m’en reste 20, donc j’en commande 80 »). Ce système repose sur des inventaires systématiques et rigoureux. Les écueils sont alors nombreux et mettent à mal le système : « Je n’ai pas le temps de faire l’inventaire : on va commander comme la semaine dernière », « Ma dotation est de 100, il m’en reste 20, mais j’en commande quand même 100, car on ne sait jamais… », « Ma dotation est de 100, mais elle est obsolète, j’ai besoin de 200 pour fonctionner pendant une semaine », etc. Heureusement, certains établissements pallient ces difficultés en mettant à jour les dotations régulièrement, en aménageant des stocks faciles à compter ou en faisant réaliser ces inventaires par des agents logistiques lorsqu’ils en ont les moyens.

Le second système, plus récent, est celui dit du Plein-Vide (2). L’adaptation, par les hôpitaux, du très connu système de seuil de commande (ou « Kanban »). Cette fois-ci, c’est la quantité qui est fixe mais le déclenchement qui est aléatoire puisqu’il a théoriquement lieu au moment, imprévisible, où le seuil sera atteint (à la moitié de la dotation dans le cas du plein-vide). Ce système permet entre autres de s’affranchir des inventaires systématiques. Mais son principal écueil dans les organisations hospitalières est qu’il s’agit en réalité d’un faux Kanban. Pour des raisons historiques d’organisation des fonctions logistiques, le relevé des « demi-bacs » vides n’a en réalité pas lieu à tout moment, mais au contraire, lors de relevés et de livraisons organisées à intervalle fixe dans les unités de soins (2 ou 3 fois par semaine par exemple). Appliqué comme tel, le système « Plein-Vide » n’est rien d’autre qu’un système de complémentation rendu plus simple (plus besoin d’inventaires systématiques), mais nécessitant davantage d’équipements (les demi-bacs) et davantage de surfaces de stockage, puisque la demi-dotation doit permettre de tenir jusqu’au prochain relevé, souvent trop lointain !

Aucun de ces deux systèmes n’est actuellement satisfaisant et l’approvisionnement des unités de soins dans les hôpitaux reste un casse-tête. Le nombre de demandes urgentes ou de ruptures de stock en témoigne chaque jour ! Les stocks dans les unités sont régulièrement « retoqués » par les commissaires aux comptes. Pourtant, créé dans les usines Toyota en 1950, le système de « KANBAN » est la meilleure solution d’approvisionnement en flux tiré des unités de production, quelles qu’elles soient. Il suffirait pour cela d’appliquer avec rigueur le plein-vide et surtout de disposer d’une fréquence de distribution réellement variable et réactive.

Mais pourquoi l’hôpital maintient-il ces organisations imparfaites ? Par rejet de principe des solutions industrielles ? Par défiance envers les équipes logistiques ? À cause d’un manque de moyens ?  Par méconnaissance de la solution ? Par manque d’ambition pour faire évoluer des organisations historiques ?
Sans doute un peu de tout cela…

Osez augmenter la fréquence d’approvisionnement !

Actuellement, dans les hôpitaux, la livraison dans les unités de soins respecte la plupart du temps la logique historique d’une préparation séquencée, chacun à son tour, en respectant le jour de la semaine préalablement établi. Les produits sont ainsi préparés, allotis dans des armoires (ou des caisses), qui sont ensuite transportées une par une dans les services destinataires. Avec un tel processus, augmenter la fréquence d’approvisionnement d’un service revient à augmenter d’autant le nombre de commandes à passer, le nombre préparations et le nombre d’armoires à transporter ! Cela serait donc extrêmement chronophage et consommateur en temps humain, poussant les hôpitaux – toujours à la recherche d’économies – à justement réduire les fréquences de livraison…

Et si l’on changeait de logique ? L’idée consiste à ne plus raisonner par des livraisons point à point, qui deviennent trop coûteuses si l’on en augmente la fréquence. Il s’agit de mettre en place des tournées logistiques internes très régulières, passant systématiquement dans chaque unité, quitte à ne livrer que très peu. Dans les outils du Lean, ce système de distribution s’appelle le « Train Logistique » (ou encore Mizusumashi, signifiant « araignée d’eau » en japonais ; qui se déplace sans faire de vague !)

Fréquence-approvisionnement

Couplé au système de plein-vide, le « Train Logistique » permet de tendre vers un idéal de fonctionnement en flux tiré. Le principe est simple : à chaque tournée, pour chaque unité, il livre les demi-bacs pleins et récupère les demi-bacs qui se sont vidés depuis le passage précédent, et qui seront ensuite ramenés pleins lors du passage suivant.

Avec plusieurs tournées par jour (3 par exemple), l’approvisionnement devient très réactif (quelques heures seulement), l’intervention des soignants se limite à sortir les demi-bacs lorsqu’ils sont vides, les demandes urgentes disparaissent, tout comme la peur de manquer. De plus, les moments d’échange entre le personnel soignant et les acteurs logistiques sont multipliés et tout le système de distribution devient limpide et rassurant.
La mutualisation des transports entre la pharmacie et le magasin devient bien plus évidente, tout comme, pourquoi pas, la mutualisation avec les tournées de ramassage des prélèvements de biologie ou de vaguemestre ! Le parc, souvent conséquent, d’armoires et de caisses de transport n’est plus nécessaire.

Enfin, comparativement à un système classique de complémentation hebdomadaire, le stock nécessaire dans les unités n’est plus d’une semaine, mais d’une journée, voire d’une demi-journée ! Des gains d’espace sont possibles dans les unités de soins et les commissaires aux comptes apprécieront lors de la certification comptable. Les bénéfices d’un fonctionnement en flux tiré sont nombreux.

Et ça ne coute pas plus cher !

À première vue, une telle augmentation de la fréquence d’approvisionnement semble coûteuse. Détrompez-vous !
La réorganisation est très importante (surtout pour les fonctions support qui devront s’adapter), mais pas l’investissement. Certes, il va falloir un ou plusieurs agents dédiés à la réalisation les rotations du train logistique tous les jours, si possible équipés d’un système de mobilité électrique. Mais cela est à mettre au regard des distributions actuelles, complexes et redondantes, des nombreux coûts « évités » et des transferts de tâches. Une estimation théorique est présentée dans le tableau ci-dessous, prenant l’exemple d’un établissement d’une vingtaine d’unités de soins.

Coût-train-logistique

Même si l’analyse est dépendante du contexte de chaque établissement, les systèmes sont économiquement comparables. Et quand bien même la mise en place du flux tendu type Kanban nécessiterait un léger investissement, cela est à mettre au regard du service rendu et de la sérénité (difficilement chiffrable) ainsi offerts aux équipes soignantes.

A l’heure où la crise sanitaire soumet les équipes soignantes à rude épreuve, les hôpitaux vont être amenés à opérer des arbitrages et des investissements pour les soulager et faciliter leur quotidien. La proposition qui est ici faite constitue une manière intelligente d’y contribuer en nivelant par le haut l’ensemble de la chaine logistique, afin de tendre vers les meilleures pratiques, éprouvées depuis plusieurs dizaines d’années dans l’industrie.

 

Franck Bienvenot, Consultant Associé au sein du cabinet Adopale.

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