Les enjeux de la Santé Mentale en France

L’organisation territoriale de la santé mentale est aujourd’hui jugée par beaucoup comme inefficace.
Un changement structurel de l’offre doit donc s’opérer en s’organisant autour du parcours de vie et de soins de la personne et non plus autour des multiples structures.  Ce changement structurel de l’offre nécessaire, est rendu d’autant plus visible par la crise du COVID-19 qui complique le suivi actuel de 2,5 millions de patients, très vulnérables dans un contexte épidémiologique anxiogène. 

Les maladies mentales représentent une proportion en forte croissante de la charge de morbidité. On estime qu’une personne sur deux sera atteinte d’une maladie mentale au cours de sa vie, et qu’environ un adulte en âge de travailler sur cinq en souffre à tout moment [1].

C’est dans ce contexte que l’organisation des soins en santé mentale est primordiale. Pourtant en France cette organisation est passée d’un louable idéal d’égalité sur l’ensemble du territoire via la sectorisation, à un maquis dans lequel il est difficile de s’y retrouver.

Six grands axes peuvent résumer brièvement la situation de la santé mentale en France aujourd’hui et ses perspectives.

1. Une prise en charge territoriale et de proximité encore très hospitalo-centrée

Le dispositif de soins psychiatriques français se fonde sur une circulaire du 15 mars 1960 [2] sur la sectorisation, qui visait à développer les soins ambulatoires dispensés par une équipe pluridisciplinaire responsable de tous les patients de son territoire. Cette prise en charge sectorisée s’effectue en premier lieu au sein des centres médico-psychologiques (CMP) véritables pivots de la sectorisation.

Ce modèle sectorisé s’articule avec un dispositif de soins qui comprend également les professionnels libéraux, les cliniques privées et des établissements de service public non sectorisés. Depuis les débuts de la sectorisation, le nombre de lits a été réduit au profit de soins ambulatoires qui se sont développés et diversifiés autour du CMP.
La densité de lits d’hospitalisation en France reste cependant aujourd’hui parmi les plus élevées de l’OCDE [3] et les structures ambulatoires développées ne permettent pas de répondre à la demande croissante [4].
L’hospitalisation complète comme une étape, éventuelle, du parcours n’est donc pas encore une idée concrète et achevée en 2020. Le recours à l’hospitalisation complète demeure excessif, faute de solutions d’aval, mais aussi de possibilités suffisamment développées de prises en charge alternatives en amont.

2. Un lien à consolider entre psychiatrie sectorisée et acteurs du secteur médico-social

Le système français de prise en charge des troubles psychiques se caractérise par une grande pluralité des acteurs, des organisations, des structures et des modalités d’accompagnement. L’exercice de la psychiatrie au sein du secteur doit s’inscrire en complémentarité avec le secteur médico-social dans la recherche d’une synergie nécessaire au rétablissement des patients.

Un lien étroit entre la psychiatrie et le secteur médico-social permet de rendre visible les parcours, de limiter la non-demande et de mieux former au handicap psychique les professionnels sanitaires et médico-sociaux.
Un clivage trop marqué entre l’hôpital, la médecine de ville et les différentes structures médico-sociales, fragilise au contraire les parcours de soins et de vie, en ne prenant pas en compte le patient dans son milieu de vie ordinaire.

Les futurs projets territoriaux de santé mentale (PTSM) qui arriveront cette année, associant les représentants des citoyens, les professionnels et les établissements de santé, le secteur médico-social, les collectivités territoriales et les conseils locaux de santé mentale (CLSM), devront permettre une meilleure articulation globale du système pour enfin assurer des parcours de vie et de soins sans ruptures ni discontinuités.  

3. Une prise en charge de la santé mentale aujourd’hui structurée autour de trois domaines en pleine évolution

Aucune découverte importante dans la compréhension des mécanismes de la maladie mentale ayant des effets sur la prise en charge des patients, n’a été faite depuis longtemps [5].
Des améliorations dans la prise en charge clinique des personnes souffrant de troubles psychiques sont cependant à noter dans 3 principaux domaines :

  • Dans le domaine de la prise en charge psychothérapeutique, les antipsychotiques, les antidépresseurs et benzodiazépines ont prouvé leur efficacité lorsque le lien entre le patient et l’équipe médico-soignante se fait au travers d’une véritable alliance thérapeutique (l’alliance thérapeutique comprend les dimensions de collaboration, de mutualité et de négociation entre le médecin et le patient). L’administration et la surveillance des traitements les plus coûteux en termes de temps ou les plus risqués (clozapine, perfusions de kétamine, lithium, IMAO) se fait de plus en plus via des centres spécialisés (modèle des CLOZA-center au Royaume-uni) et/ou (Es)kétamine (modèle des Kétamine cliniques) qui permettent de gagner en qualité de soins et qui représentent une source importante de ressources financières. Ces centres spécialisés sont cependant encore très peu nombreux en France contrairement à des pays comme la Grande-Bretagne.
  • Dans le domaine des neurosciences psychiatriques, le nombre de publications est en forte hausse laissant apparaitre de nombreuses perspectives d’avenir quant à une meilleure compréhension des mécanismes liés au déclenchement des pathologies mentales et à leur traitement.
  • Dans le champ de la psychiatrie sociale, de nombreuses initiatives visent une meilleure prise en compte des difficultés des patients à trouver une place dans la société. C’est de ce constat que découle des stratégies permettant d’améliorer la recherche de logements spécifiques ou de trouver un travail adapté. La psychiatrie sociale se résume par la notion de rétablissement qui accorde aux symptômes une valeur positive et qui estime que le patient est l’expert de sa maladie. C’est dans ce cadre que de nouveaux métiers apparaissent comme les médiateurs de santé-pairs en santé mentale, et que la notion d’empowerment se développe grâce notamment à l’éducation thérapeutique. L’éducation thérapeutique complète judicieusement l’arsenal thérapeutique habituel, en permettant une meilleure observance thérapeutique et en améliorant la confiance de l’individu dans sa capacité à adopter des comportements pour gérer sa maladie et prévenir les récidives.

Ces trois notions de rétablissement, d’inclusion sociale et d’empowerment, créent un nouveau paradigme qui situe l’usager de la psychiatrie comme moteur de sa propre vie dans laquelle il est citoyen à part entière et où les services de santé mentale soutiennent son autonomie, plutôt qu’un rôle passif de « patient ».

La transdisciplinarité entre psychiatrie, neurosciences et sciences humaines et sociales est essentielle pour l’identification de biomarqueurs, de facteurs de risque environnementaux et le développement d’innovations thérapeutiques.

4. Une équipe de prise en charge nécessairement élargie et de plus en plus pluridisciplinaire

Les pathologies psychiatriques ont des répercussions multidimensionnelles pour le patient (sociales, somatiques …).
La complexité et la difficulté des prises en charge nécessitent donc des réunions et des interventions d’équipes pluridisciplinaire, pour réfléchir et décider des conduites à tenir pour les patients pour son parcours de soins et de vie.
De nouveaux métiers se développent comme les case-managers ou les infirmières en pratique avancée en psychiatrie. Ils permettent de mieux articuler l’ensemble des acteurs éducatifs, sociaux, médico-sociaux et du soin autour des personnes souffrant de troubles mentaux.

La nécessité d’équipe pluridisciplinaire découle également du fait que l’activité psychiatrique française en forte croissance [6], s’accompagne dans le même temps d’un nombre de postes de psychiatres et de pédopsychiatres pourvus moindre.

5. Un financement par dotation annuelle en mutation pour permettre de conduire une vraie politique de santé mentale

Le système de dotation annuelle encore en vigueur en psychiatrie a longtemps freiné l’adaptation et le financement de la psychiatrie aux nouveaux enjeux démographiques, de qualité des soins et de recherche. Le système de dotation n’a en effet pas favorisé une culture du pilotage médico-économique basée sur l’analyse des données d’activités, sur l’efficacité des soins et sur l’adéquation entre les moyens et les besoins de secteurs qui ont beaucoup évolués depuis 1960.

La réforme du financement de la psychiatrie à venir, reposera à la fois sur une dotation populationnelle ainsi que sur des modalités de financement incitant à la qualité, à la réactivité et au développement de nouvelles activités de recherche. La réforme du financement de la psychiatrie devrait également permettre de favoriser :

  • Une politique de santé mentale, qui entend prévenir et traiter toutes les formes de souffrance psychologique dans un cadre d’intervention élargie mettant en relation des acteurs d’horizons variés, allant des citoyens, aux professionnels de la psychiatrie et aux travailleurs sociaux.
  • La téléexpertise, dans un contexte de pénurie médicale et pour offrir à tout moment des soins à l’ensemble de la population sur tout le territoire (notamment lors des situations de crise comme pour le COVID-19).
  • La formation aux nouvelles compétences et aux nouveaux métiers (infirmier(e) en pratique avancée, médiateurs de santé pairs en santé mentale …).

C’est à l’aune de ces nouveaux critères que les PTSM et les établissements doivent fonder leurs nouveaux projets médico-socio-soignants.

6. Une stigmatisation réelle et persistante des personnes souffrant de troubles mentaux et des dépistages trop tardifs

Les personnes souffrant de troubles mentaux sont aujourd’hui encore trop souvent stigmatisées sous les angles de l’irresponsabilité et de la dangerosité, et bien souvent comme des personnes souffrant d’un mal incurable.

Cette stigmatisation a des conséquences importantes sur les soins : difficultés d’accès, abandons thérapeutiques, privations de liberté et manque d’information.

Les dépistages de personnes souffrant de troubles psychiatriques sont par exemple encore trop souvent tardifs. Ce manque de prévention, d’outils de dépistages précoces et de réseaux de centres de dépistage et de prévention, conduit les patients à être soigné seulement lorsque la crise survient, et parfois contre leur volonté (les soins sans consentement en psychiatrie sont en forte augmentation depuis 2010 [7]).

Au-delà des soins, il est donc aujourd’hui nécessaire de travailler sur les aptitudes fonctionnelles des patients via des actions de réhabilitation psycho-sociale permettant leur rétablissement et leur pleine inclusion au sein de la société.

Conclusion

Le système actuel semble engendrer de la souffrance pour les malades, leurs proches et les équipes pluridisciplinaires. La Stratégie nationale de santé « Ma santé 2022 » et sa feuille de route pour la santé mentale [7] devra au-delà des incantations, permettre au regard des six éléments évoqués ci-dessus de :

  • Garantir des parcours de soins et de vie coordonnés autour d’une offre en santé mentale accessible, diversifiée et de qualité ;
  • Améliorer les conditions de vie, l’inclusion sociale et la citoyenneté des personnes souffrant de troubles psychiques ;
  • Prévenir et repérer précocement la souffrance psychique.

Notes et références

[1] Ha, C., Chan Che, C. et Decool, E. (2017). « Mortalité des personnes souffrant de troubles mentaux. Analyse en causes multiples des certificats de décès en France, 2000-2013. » Bulletin Epidemiologique Hebdomadaire.

[2] Circulaire du 15 mars 1960  relative au programme d’organisation et d’équipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales 

[3] https://data.oecd.org/fr/healtheqt/lits-d-hopitaux.htm

[4] Rapport d’information Wonner-Fiat (2019)

[5] Y. Agid, G. Buzsáki, D. M. Diamond, R. Frackowiak, J. Giedd, J.-A. Girault, A. Grace, J. J. Lambert, H. Manji, H. Mayberg, M. Popoli, A. Prochiantz, G. Richter-Levin, P. Somogyi, M. Spedding, P. Svenningsson, D. Weinberger, « How can drug discovery for psychiatric disorders be improved? », Nat. Rev. Drug Discov. 6, 189–201 (2017). CrossRefPubMedWeb of ScienceGoogle Scholar

[6] Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du règlement, par la commission des affaires sociales, en conclusion des travaux d’une mission d’information relative à l’organisation de la santé mentale, n°2249, déposé(e) le vendredi 20 septembre 2019

[7] « Les soins sans consentement en psychiatrie », étude de Magali Coldefy publié par l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé en février 2018

[8] Ministère de la santé (2018) « Feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie. »

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